Depuis une réforme adoptée en avril 2006, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) est compétente pour contrôler la légalité du financement de la campagne électorale des candidats à l’élection présidentielle en approuvant, rejetant ou réformant les comptes de campagne déposés par les candidats.
L’enjeu de ce contrôle est considérable puisqu’il détermine le montant des dépenses électorales qui seront remboursées par l’Etat aux candidats, l’article 3 V de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République prévoyant en effet que « chaque candidat ayant obtenu plus de 5 % du total des suffrages exprimés au premier tour » se voit rembourser 47,5 % du montant des dépenses retracées dans le compte de campagne. A l’issue de l’instruction des comptes de campagne, la Commission peut approuver les comptes du candidat (lequel percevra alors un remboursement de 47,5 % du montant des dépenses électorales engagées), les réformer (sont déduites du montant des dépenses électorales remboursables celles qui sont irrégulières ou qui ne revêtent aucun caractère électoral) ou bien encore les rejeter (le candidat n’est alors éligible à aucun remboursement, comme ce fut le cas en 2013 avec le compte de campagne de Nicolas Sarkozy).
La décision rendue par la CNCCFP peut faire l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel auquel il appartient alors de réexaminer le compte de campagne du candidat puis de publier au Journal officiel la décision visant à approuver, rejeter ou réformer le compte de campagne et arrêter le montant du remboursement accordé.
A l’issue de l’instruction des comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle des 10 et 24 avril 2022, la CNCCFP a publié le 27 janvier dernier les décisions rendues concernant les comptes de campagne de onze des douze candidats qui se sont présentés à ce scrutin.
La douzième décision, relative au compte de campagne de Marine Le Pen, fait toutefois l’objet d’un recours par la candidate devant le Conseil constitutionnel.
La candidate conteste notamment le fait que la CNCCFP lui ait refusé le remboursement d’environ 300 000 euros de dépenses correspondant au flocage de douze bus sur lesquels avaient été apposés son effigie, son slogan et ses couleurs (voir ici l’aperçu de l’un de ces bus). Autrement dit, le Conseil constitutionnel devra répondre à la question de savoir si les dépenses de flocage de véhicules engagées par une candidate à des fins électorales correspondent ou non à des dépenses régulières et, dès lors, remboursables.
Si la question n’est pas totalement nouvelle, la réponse est cependant moins évidente qu’il n’y paraît.
Au premier abord, le bon sens conduirait à conclure que les dépenses engagées durant une campagne électorale pour floquer douze bus aux couleurs et à l’effigie d’une candidate contribuent à la promotion de sa candidature, à l’obtention de suffrages et revêtent un caractère électoral (par conséquent remboursables).
Or, l’article L. 51 du code électoral interdit tout affichage électoral en dehors des emplacements spécialement réservés à cet effet. C’est, précisément, sur le fondement de cette disposition que la jurisprudence a considéré à de nombreuses reprises que l’utilisation d’un véhicule comportant un affichage électoral est constitutif d’une irrégularité. Ce raisonnement est partagé tant par le Conseil d’Etat (voir cette décision inédite n° 450527 du 30 décembre 2021) que par le Conseil constitutionnel (voir par exemple sa décision n° 2007-3751/3886 AN du 22 novembre 2007 ou celles plus récentes n° 2022-5758 du décembre 2022, n° 2022-5775 AN et 2022-5782 AN du 23 janvier 2023).
Certes, le recours de Marine Le Pen présente cette subtilité que les dépenses engagées concernent non pas l’apposition d’affiches électorales sur un véhicule mais le flocage électoral de bus, ce qui est techniquement différent.
Il n’est toutefois pas certain que cette subtilité soit suffisante pour emporter la conviction du Conseil constitutionnel et le conduire à s’écarter de la jurisprudence relative à l’application de l’article L. 51 du code électoral. D’abord parce que le flocage et l’affichage électoral hors emplacements ont des effets strictement identiques sur les électeurs et sur la sincérité du scrutin. Ensuite parce que le juge électoral retient une interprétation extensive de la notion d’affichage électoral. Dans son arrêt du 30 décembre 2021, le Conseil d’Etat a ainsi estimé que l’apposition par un candidat d’adhésifs sur un véhicule relève de l’interdiction prévue par l’article L. 51 du code électoral. Enfin parce que considérer le flocage électoral hors emplacement comme légal alors que l’affichage électoral ne le serait pas permettrait de contourner assez aisément les dispositions du code électoral en matière d’affichage sauvage.
Dans sa décision à intervenir concernant le compte de campagne de Marine Le Pen, il ne serait donc ni illogique ni surprenant que le Conseil constitutionnel inclut le flocage électoral dans le champ d’application de l’article L. 51 du code électoral et qu’il confirme le raisonnement retenu par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
(Pour une analyse divergente, voir ici le billet du professeur Hervé Causse)
© Photographie Radio France – Nina Valette